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Chroniques
José Bragato – Astor Piazzolla
œuvres variées
Un ensemble que l'on rencontre habituellement dans les répertoires baroques et classiques décide de jouer la musique du grand rénovateur du tango : voilà l'intérêt de ce disque, un aspect qui n'est pas des moindres car il explique en partie la réussite de cette belle rencontre, occasionnant un enregistrement à la fois rigoureux et inspiré.
La série de l'ange, composée par Astor Piazzolla dans les années soixante, compte parmi ces pages deux épisodes adaptés pour orchestre à cordes parJosé Bragato. Né dans le Frioul en 1915, le violoncelliste et compositeur (qui avait débarqué en Argentine en 1928 où il commença sa carrière neuf ans plus tard) fut un fervent admirateur et collaborateur de Piazzolla qu'il rencontra après guerre. Un élégiaque solo de violon ouvre Milonga del Ángel, la rondeur des interventions de piano s'opposant ensuite au gel mélancolique des cordes. On remarque des portamenti subtilement conduits. L'âpreté du fugato sec est ce qui caractériserait le mieux La Muerte del Ángel, tonique et méchant, intégrant plus tard un développement mélodique assez succinct où le piano de Prokofiev n'est pas tombé dans l'oreille d'un sourd. À l'hymne centrale est accordée une précision infaillible, retournant bientôt à la hargne initiale, jusqu'à un amalgame effervescent, nerveux, frémissant.
De Bragato lui-même, ce disque présente Graciela y Buenos Aires, une pièce écrite en 1971. Après un court motif introductif, sombre, quasi opératique, et plusieurs fois énoncé, l'œuvre se déploie avec plus d'opulence, préparant l'entrée théâtrale du soliste. On notera cependant que cette partition invente peu, tourne vite en rengaine, à travers des variations assez faibles, en général. Ici, Benoît Loiselle donne une interprétation parfois fougueuse qui tâche de réveiller l'auditeur.
À la tête des Violons du Roy [lire notre chronique du 3 juin 2003], Jean-Marie Zeitouni conduit une lecture soignée et contrastée de Las Cuatro Estaciones porteñas que traverse l'ombre de Vivaldi. Composées pour quintette avec piano et bandonéon, ces quatre saisons furent transcrites pour violon et cordes par le Russe Leonid Desiatnikov (né en 1955), par ailleurs auteur de plusieurs musiques pour le cinéma. À l'Été, les artistes réservent un relief étonnant que rehausse l'excellence de Pascale Giguère au violon. Le mouvement est à la fois bref et riche en événements. Le côté rhapsodique de Piazzolla contraste avec une inventivité sans cesse en éveil. Une certaine violence dans les incises percussives et les motifs semi perpétuels marque l'Automne. Dans les cris du violon et les traits motoristes, on sent une relative urgence, parfois cruelle. Quel lyrisme et quelle verve dans cet Hiver tendre à pleurer qu'achève un calme contrepoint ! C'est un Printemps activement rythmique qui clôt le paysage, salué par quelques grappes de clavecin.
Deux tangos nous emportent. D'abord, le sévère et puissant Coral, sans doute ce que cette galette contient de plus poignant, donné dans une pâte épaisse et très liée. L'interprétation est splendide, la sonorité de la reprise du chromatisme voluptueuse. Enfin Canyengue à l'introduction audacieuse et contrastée, sorte de danse capricieuse du violon, s'achemine vers une fin furieuse. Extrait de l'opéra Maria de Buenos Aires conçu par Piazzolla en 1967, Fuga y Misterio trouve en Bragato un arrangeur dévoué. L'on entendra ici une musique plus publique, œuvrant avec panache avant d'inviter à une méditation plus abstraite. Ce SACD unit à l'élan énergique du tango la rigueur d'une formation instrumentale de grande qualité.
HK